Akira Kurosawa – Les Sept Samouraïs
April 16, 2021 Share

Akira Kurosawa – Les Sept Samouraïs

Au Moyen-Age, la tranquillité d’un petit village japonais est troublée par les attaques répétées d’une bande de pillards. Sept samouraïs sans maître acceptent de défendre les paysans impuissants. Formellement, le film est en avance sur son temps et son magnifique noir et blanc est son seul renvoi à un passé lointain.

Le dispositif filmique de Kurosawa respire l’innovation : des mouvements de caméra vifs durant les combats brutaux sous la pluie, jusqu’à l’utilisation révolutionnaire de ralentis (une fois de plus, Peckinpah en a pris de la graine), utilisés avec une parcimonie extrême mais avec une brillance esthétique parfaitement iconique. Qui peut oublier le premier duel de Kyuzo (Seiji Miyaguchi), qui dure une poignée de secondes et se termine par son adversaire chutant au ralenti tandis que notre samouraï reste parfaitement immobile. Un cliché délectable qui se retrouvera copié dans une infinité de films de sabre et de westerns. Les cadres exagérés et le montage frénétique des scènes d’action finales sont complétés par la bande originale entêtante de Fumio Hayasaka, fréquent collaborateur de Kurosawa. Ses tambours envoûtants posent le suspense avant les batailles, tandis que des chants gutturaux soulignent la détresse des villageois. Le compositeur emploie une armada d’instruments et de styles pour compléter la narration éclatée de son réalisateur. Toute l’équipe du film a fait preuve de brillance dans son travail. La reconstitution du Japon féodal frappe par son authenticité, un village a d’ailleurs été entièrement bâti pour le tournage dans la campagne japonaise, Kurosawa refusant catégoriquement les propositions de la Toho qui souhaitait tourner le film en studio. Le résultat n’en est que plus frappant. Le combat final, tourné dans des conditions impossibles par une bande d’acteurs et de cascadeurs fous qui bondissent de toutes parts dans le sang et la boue, reste un modèle de sauvagerie cinématographique. Le massacre en règle des bandits par les villageois (qui les surpassent allègrement en nombre) est un retournement de situation pour le moins choquant.

Paradoxalement, ce qui rend Les Sept Samouraïs si spécial et lui donne toute son âme, ce n’est pas ses innovations visuelles et narratives, c’est bien évidemment la personnalité d’Akira Kurosawa. Malgré la noirceur du récit, ce dernier reste un grand cinéaste humaniste et ce film est un rappel des idéaux qu’il aura défendus durant toute sa filmographie. Des idéaux souvent contraires à la pensée japonaise. Car si la reconstitution historique impressionne par son authenticité, le cœur du récit est profondément anticonformiste et il est peu probable que de tels événements se soient réellement déroulés dans le Japon féodal. Les sept samouraïs du titre n’en sont pas vraiment, ce sont pour la plupart des rônins, des samouraïs sans maîtres. Kikuchiyo (Mifune) se révèle même être né fermier et n’est samouraï que parce qu’il en a décidé ainsi. Le chef du groupe bafouille son honneur dès son introduction en se coupant les cheveux pour se déguiser et sauver un enfant d’une classe inférieure. Quant à l’histoire d’amour centrale du film, elle trangresse également la séparation des classes. À travers ses personnages, le cinéaste lance un appel de tolérance à son audience japonaise des années 50. Finalement, c’est ce fond idéaliste qui fait vraiment du film une œuvre maîtresse de Kurosawa et qui lui permet de rester si moderne aujourd’hui. C’est un appel au changement pour un Japon alors toujours sous la coupe américaine et sous le choc nucléaire. Pierre de rosette fondamentale par laquelle nous pouvons déchiffrer notre cinéma moderne, Les Sept Samouraïs impressionne toujours par ses inventions formelles et narratives mais c’est pourtant l’humanisme sans faille de Kurosawa et l’énergie bondissante de Toshire Mifune qui en font le monument qu’il est aujourd’hui, qui trône avec une confiante modestie au sommet des récits épiques du septième art.

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